Archives du blog

mardi 17 février 2009

Quelqu'un. (extrait)


Il ne dormait pas. Juste par intermittence. On le voyait parfois errer dans la maison, chercher peut-être une vague occupation, se justifier en face des heures tombantes sur les côtés. Mais il regagnait toujours le lit et son enfer. Il ne bougeait plus. La nuit dansait autour de lui sans qu’il ne pût l’atteindre véritablement.Il vivait dans cette immobilité qui était presque indécente à nommer. La plupart des gens de la maison ne préféraient pas le visiter. On le laissait se défaire dans sa chambre. Cependant tout m’attirait vers lui. Sa solitude, son extrême discrétion, et cette distance qu’il menait de front avec autrui, et sans doute avec lui-même.
C’était un être frêle, souvent malade et alité, il ne parlait que pour dire l’essentiel, même si les gestes suffisaient à son langage. Il devait probablement rêver, là, assis sur le bord de son lit, regardant constamment par sa fenêtre. Cherchait-il quelqu’un ? Avait-il encore cet espoir ? Il semblait être mort. Je n’osai pas venir vers lui. J’avais peur de son silence, de sa longue observation. Et que pouvions-nous dire ? Il manquait tellement de paroles entre nous, que je ne me sentais pas la force d’en créer. Je passais alors souvent près de sa chambre inapparente, et je m’arrêtai lorsqu’elle demeurait parfois légèrement entrouverte ; il ne faisait pas attention à moi, il était toujours dans une immobilité qui m’affolait, qui était presque contagieuse, car je retournais dans ma chambre, avec cette impossibilité de remuer, et je restai accoudé à quelque chose, me sentant étrangement disparaître.Il fallait peut-être briser ce rythme, et nouer une relation, un lien, une amitié ; je savais que j’étais la seule personne à vouloir le faire, mais la volonté ne m’amenait pas à une décision. Un soir d’été, alors que les gens de la maison avaient organisé une veillée dehors dans le grand jardin, je m’étais glissé dans le couloir, et par une force inconnue, je m’arrêtai devant sa porte qui était ce soir-là fermée, et je rêvai à ce qu’il pouvait bien faire, là, alors que les mouvements demeuraient dehors, que la soirée allait être interminable. Dormait-il déjà ? Avait-il des projets pour cet été qui tout juste commençait ? Je ne pensais pas. Je ne savais que penser de lui. Bien que rien ne justifiait mon acte, j’ouvris la porte doucement, avec pourtant une grande indiscrétion que je sentais monter en moi. Celle-ci se calma quand je le découvris assis sur son lit, de profil, les yeux grands ouverts vers la fenêtre qui donnait sur la rue. Il ne tourna pas le regard. Savait-il que j’étais là, que j’étais même rentré dans sa pièce, et que je le regardais, sans pouvoir dire ni murmurer quelque chose ? Nous restâmes longtemps ainsi, sans prendre en compte nos existences, mais pris d’une soudaine gêne, je déclamai sourdement :
-Vous ne venez donc pas rejoindre les autres. 
Je savais que ma phrase ne servait à rien, que la parole avec lui creusait plus encore le vide, mais il ne parut pas trop sévère avec moi.
- Je crois que je vais rester, dit-t-il d’une voix parfaitement claire et audible.
Un sursaut me laissa pantois un moment, puis je me glissai dans cette conversation qui débutait, de peur de la voir disparaître.
- Que comptez-vous faire ce soir ?
- Sans doute rêver‚
- A quoi dont ? De quoi l’on rêve lorsqu’on semble avoir tout quitté ?
- A bien autre chose, murmura-t-il un peu mystérieusement.
J’eus peur de lui en demander trop. Je me mis à réfléchir sans grand résultat. Finalement le dialogue s’éloignait de nous. Je restai debout dans l’entrée, et lui assis sur le lit. Combien de temps devais-je rester ainsi? Il y aura-t-il quelque chose, excepté ce temps qui ne passe plus? Cette frontière entre nous m’abîmait, je sentais que jamais plus je ne voudrais vouloir, que je resterais entre, dans les silences qu’on oublie, la nuit, toujours la nuit.
[...]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire