Il ne dormait pas.
Juste par intermittence. On le voyait parfois errer dans la maison, chercher
peut-être une vague occupation, se justifier en face des heures tombantes sur
les côtés. Mais il regagnait toujours le lit et son enfer. Il ne bougeait plus.
La nuit dansait autour de lui sans qu’il ne pût l’atteindre véritablement.Il
vivait dans cette immobilité qui était presque indécente à nommer. La plupart
des gens de la maison ne préféraient pas le visiter. On le laissait se défaire
dans sa chambre. Cependant tout m’attirait vers lui. Sa solitude, son extrême
discrétion, et cette distance qu’il menait de front avec autrui, et sans doute
avec lui-même.
C’était un être frêle,
souvent malade et alité, il ne parlait que pour dire l’essentiel, même si les
gestes suffisaient à son langage. Il devait probablement rêver, là, assis sur
le bord de son lit, regardant constamment par sa fenêtre. Cherchait-il quelqu’un
? Avait-il encore cet espoir ? Il semblait être mort. Je n’osai pas venir vers
lui. J’avais peur de son silence, de sa longue observation. Et que
pouvions-nous dire ? Il manquait tellement de paroles entre nous, que je ne me
sentais pas la force d’en créer. Je passais alors souvent près de sa chambre
inapparente, et je m’arrêtai lorsqu’elle demeurait parfois légèrement entrouverte
; il ne faisait pas attention à moi, il était toujours dans une immobilité qui
m’affolait, qui était presque contagieuse, car je retournais dans ma chambre,
avec cette impossibilité de remuer, et je restai accoudé à quelque chose, me
sentant étrangement disparaître.Il fallait peut-être briser ce rythme, et nouer
une relation, un lien, une amitié ; je savais que j’étais la seule personne à
vouloir le faire, mais la volonté ne m’amenait pas à une décision. Un soir d’été,
alors que les gens de la maison avaient organisé une veillée dehors dans le
grand jardin, je m’étais glissé dans le couloir, et par une force inconnue, je
m’arrêtai devant sa porte qui était ce soir-là fermée, et je rêvai à ce qu’il
pouvait bien faire, là, alors que les mouvements demeuraient dehors, que la
soirée allait être interminable. Dormait-il déjà ? Avait-il des projets pour
cet été qui tout juste commençait ? Je ne pensais pas. Je ne savais que penser
de lui. Bien que rien ne justifiait mon acte, j’ouvris la porte doucement, avec
pourtant une grande indiscrétion que je sentais monter en moi. Celle-ci se
calma quand je le découvris assis sur son lit, de profil, les yeux grands
ouverts vers la fenêtre qui donnait sur la rue. Il ne tourna pas le regard.
Savait-il que j’étais là, que j’étais même rentré dans sa pièce, et que je le
regardais, sans pouvoir dire ni murmurer quelque chose ? Nous restâmes
longtemps ainsi, sans prendre en compte nos existences, mais pris d’une
soudaine gêne, je déclamai sourdement :
-Vous ne venez donc
pas rejoindre les autres.
Je savais que ma
phrase ne servait à rien, que la parole avec lui creusait plus encore le vide,
mais il ne parut pas trop sévère avec moi.
- Je crois que je
vais rester, dit-t-il d’une voix parfaitement claire et audible.
Un sursaut me
laissa pantois un moment, puis je me glissai dans cette conversation qui débutait,
de peur de la voir disparaître.
- Que comptez-vous
faire ce soir ?
- Sans doute rêver‚
- A quoi dont ? De
quoi l’on rêve lorsqu’on semble avoir tout quitté ?
- A bien autre
chose, murmura-t-il un peu mystérieusement.
J’eus peur de lui
en demander trop. Je me mis à réfléchir sans grand résultat. Finalement le
dialogue s’éloignait de nous. Je restai debout dans l’entrée, et lui assis sur
le lit. Combien de temps devais-je rester ainsi? Il y aura-t-il quelque chose,
excepté ce temps qui ne passe plus? Cette frontière entre nous m’abîmait, je
sentais que jamais plus je ne voudrais vouloir, que je resterais entre, dans
les silences qu’on oublie, la nuit, toujours la nuit.
[...]
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